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Faut-il déclarer toutes les opérations transfrontalières ?

Avez-vous entendu parler de DAC-6 ?

DAC-6, c'est une directive européenne, datée de 2018, qui contraint les conseils des entreprises, ou les entreprises elles-mêmes, à déclarer automatiquement aux autorités fiscales les opérations transfrontalières (qu'ils conseillent ou mettent en place), en vue de lutter contre le blanchiment d'argent, la fraude et l'évasion fiscales.

Face à un nombre trop important de déclarations "hors champ" qu'elle n'était plus en mesure de traiter, faute de personnel suffisant, l'administration fiscale française a souhaité apporter quelques précisions sur les opérations qui doivent (ou ne doivent pas) être déclarées. 

Qui est concerné ? Quelles opérations sont concernées ? Quelles sont les tempérances qui ont été apportées ?

Champ d'application de l'obligation de déclaration des opérations transfrontalières

Qui est concerné par cette obligation de conformité fiscale ?

Par principe, l’obligation de déclaration incombe à l’intermédiaire conseillant, accompagnant ou mettant en place le dispositif transfrontière.

Toutefois, dans certaines situations, cette obligation de déclaration incombera directement aux entreprises concernées :
  • lorsqu’il n’y a pas d’intermédiaire impliqué dans la conception ou commercialisation du dispositif,
  • lorsque l’intermédiaire invoque le secret professionnel - nouveauté depuis une jurisprudence rendue en 2023 et concernant la Belgique,
  • lorsque l’intermédiaire n’a de lien avec aucun État membre de l’Union européenne.

Attention, si l'opération est proposée par un avocat, vous serez contraint de réaliser vos obligations vous-mêmes !

Les juridictions européennes ont effectivement indiqué en 2023 que DAC-6 n'est pas en mesure de contraindre les conseils des entreprises, lorsqu'ils sont soumis au secret professionnel, à divulguer les schémas fiscaux pouvant être jugés agressifs de leurs clients. Les juridictions européennes rappellent une nouvelle fois que le principe de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales ne supplantent pas les droits à la défense et refusent d'accepter les atteintes ainsi portées par les États souverains à ces droits et garanties les protégeant. En substance, les juridictions ont rappelé que les mesures mises en place étaient suffisantes (obligation de déclaration par les entreprises concernées et leurs conseils autres que les avocats) et qu'ainsi, la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, aussi importante soit-elle, était suffisamment défendue pour ne pas contraindre les avocats à s'absoudre de leurs obligations de secret.

Quelles opérations sont concernées ?

La directive parle de dispositifs transfrontières.

Toutefois, son champ d'application peut être interprété de manière si large qu'elle a pu contraindre les entreprises et nombreux de leurs conseils à déclarer quasi toutes les opérations réalisées entre deux entités installées dans deux pays différents de l'Union Européenne.

Pour savoir quelles opérations doivent être déclarées, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
  • L'opération constitue une opération juridique, financière ou immobilière
  • L'opération est transfrontalière (c'est-à-dire réalisée entre deux structures qui sont implantées dans deux États différents de l'Union Européenne)
  • L'opération doit comporter l'un des 19 "marqueurs" listés par la directive. 

Quels sont ces marqueurs ?

Pour faire simple, un marqueur est un "indice" pouvant amener à qualifier une opération de fraude ou d'évasion fiscales.

Avant d'entrer dans le détail des marqueurs, il faut savoir que certains de ces marqueurs n'entraîneront une obligation déclarative qu'à condition qu'ils se combinent à la notion "d'avantage principal". En clair, il faut alors que l'opération (qui pourrait présenter un ou plusieurs des marqueurs identifiés), compte tenu des éléments de faits et circonstances particulières, n'ait été menée par la ou les entreprises concernées que principalement en vue d'en tirer un avantage fiscal.

Les critères amenant à une déclaration automatique (qu'il y ait une recherche d'un avantage fiscal ou non) :
  • dispositif prévoyant la déduction de paiements transfrontières effectués entre deux ou plusieurs entreprises associées lorsque le bénéficiaire n’a sa résidence à des fins fiscales dans aucune juridiction ou que la juridiction du bénéficiaire est désignée comme un ETNC
  • dispositif prévoyant la double déduction d’un amortissement pour un même actif
  • dispositif prévoyant l’allègement de la double imposition pour le même élément de revenu ou de capital dans la même juridiction
  • transfert d’actifs dont le traitement fiscal diffère dans une large mesure
  • dispositif portant atteinte à l’obligation de déclaration découlant de la législation européenne relative aux comptes financiers (DAC2/NCD)
  • dispositif faisant intervenir une chaîne de propriété formelle ou effective non transparente permettant de dissimuler le bénéficiaire effectif de l'opération
  • utilisation de régimes de protection unilatéraux
  • transfert d’actifs ou d’incorporels ou de droits portant sur ces actifs, difficiles à évaluer au moment de leur transfert entre entreprises associées
  • transfert transfrontière de fonctions et/ou de risques et/ou d’actifs au sein du groupe, si le bénéfice annuel avant intérêts et impôts que le(s) cédant(s) prévoi(en)t de réaliser dans les 3 ans suivant le transfert est inférieur à 50 % du bénéfice annuel avant intérêts et impôts que les mêmes personnes prévoiraient de réaliser si le transfert n’avait pas lieu.

Les marqueurs qui subordonnent la déclaration à la recherche d'un avantage principalement fiscal pour la personne ayant adopté le dispositif :
  • dispositif soumis à une clause de confidentialité empêchant la divulgation d'informations entre les autorités fiscales
  • dispositif pour lequel la rémunération des intermédiaires est liée à l’avantage fiscal obtenu
  • dispositifs commercialisables
  • acquisition d’une société avec des pertes pour utilisation de ces dernières à des fins fiscales
  • conversion de revenus en capital/dons/recettes taxables à un niveau inférieur
  • transactions circulaires
  • dispositif prévoyant la déduction de paiements transfrontières effectués entre deux ou plusieurs entreprises associées lorsque la juridiction du bénéficiaire ne lève pas l’impôt sur les sociétés ou l’applique à un taux zéro ou presque nul, le paiement ouvre droit à une exonération et/ou le paiement ouvre droit à un régime fiscal préférentiel.

Les précisions apportées par l'administration fiscale française

L'administration fiscale française, débordée par le nombre de déclarations, a souhaité apporter quelques précisions sur les situations qui doivent impérativement être déclarées, et celles pour lesquelles les entreprises peuvent s'épargner une déclaration inutile.

En avril 2020, une consultation publique avait effectivement été ouverte, l'administration fiscale souhaitant proposer aux différents acteurs du secteur de transmettre leurs commentaires à cet effet.

Ce n'est qu'en 2023 que les commentaires seront effectivement publiés.

Malheureusement, si l’administration fiscale a apporté quelques précisions sur les marqueurs indiqués dans la directive, lesquelles précisions étaient les bienvenues, celles-ci n'en demeurent pas moins assez timides. Les marqueurs restent trop larges et peu précis.

La notion de dispositif transfrontière

L'administration fiscale est venue préciser que l'on entend par
  • dispositif : tout montage, accord, contrat, entente, mécanisme transaction ou une série de transactions, ayant ou non force exécutoire
  • transfrontière : ayant lieu entre la France et un autre État membre de l’Union Européenne ou un pays tiers, dans l'hypothèse où les participants au dispositif résident à des fins fiscales ou exercent leur activité dans deux États distincts
  • commercialisable : qu'il soit prêt à l'emploi ou sur-mesure

Elle est également venue rappeler que ce dispositif ne s'applique pas aux rémunérations ou équivalents (pensions, etc.).

L'objectif ici est de rappeler qu'un échange entre deux structures, même transfrontalier, ne suppose pas nécessairement la poursuite d'un intérêt uniquement fiscal, et qu'ainsi, seules les opérations d'optimisation fiscale agressive doivent être déclarées.

Les précisions apportées quant aux marqueurs

Les notions évoquées ci-avant sont particulièrement floues (voir incompréhensibles, on vous l'accorde), de telle manière qu'il était judicieux pour l'administration d'y apporter quelques précisions et une certaine interprétation.

Afin d'éviter toutefois un excès déclaratif, elle est venue donner deux précisions importantes concernant la notion d'avantage principal :
  • d'abord, il faut que le montage soit agressif : autrement dit, qu'il vise à optimiser de manière agressive la fiscalité applicable à l'opération et ne pas tirer une réduction mineure d'impôt liée par exemple au seul fait de développer une activité à l'étranger
  • ensuite ce qui pouvait être considéré comme un "avantage fiscal" : il s'agit d'un abattement, remboursement d’impôt, allégement ou diminution d’impôt, réduction de dette fiscale, report ou absence d’imposition
  • enfin, ce que l'on entend par "principal" : l'administration explique qu'il ne faut pas que le seul intérêt soit fiscal - il est possible qu'ils y aient plusieurs intérêts, et que ceux-ci puissent être tout aussi principaux que l'intérêt fiscal. Afin de faire une hiérarchie entre tous les intérêts, il faut vérifier si l'opération se serait effectuée ou non de la même façon sans l'existence de cet avantage.

Concernant les marqueurs, chacun a été précisé dans un BOFIP auquel nous vous invitons à vous reporter (ici pour les marqueurs spécifiques et généraux applicables aux opérations subordonnées à la recherche d'un intérêt principalement fiscal et ici pour les autres marqueurs spécifiques). Pour vous y retrouver entre les marqueurs, nous vous invitons à vous reporter au tableau récapitulatif réalisé par l'administration fiscale en ce sens, que vous trouverez en bas de cet article.

Quelques exemples

Une entreprise qui décide par exemple de s'étendre à l'étranger en ouvrant une filiale dans un pays, certes à fiscalité plus avantageuse (ce qui n'est pas très difficile en comparaison avec la France), pour se rapprocher d'une clientèle existante ou potentielle, de ses fournisseurs, ou pour abaisser ses coûts de production, n'est pas contrainte de déclarer cette opération, qu'elle en tire un avantage fiscal ou non.

A l'inverse, la création de "structures" à Dubaï visant à épurer l'impôt sur les sociétés (et potentiellement l'impôt sur le revenu) des influenceurs, freelances ou autres structures à associé unique, via un package vendu par des conseils locaux pour une somme loin d'être modique (et surtout en poursuivant leur activité et/ou en conservant leur domicile en France), sont des montages qui doivent faire l'objet d'une déclaration... par l'entrepreneur lui-même (le conseil étant à Dubaï). 

Pareil pour la création d'une société mère ou d'une entité au Luxembourg ou aux Pays-Bas pour y localiser vos actifs incorporels (marque, titres de société, etc.) en quasi neutralité fiscale, sans y exercer une activité réelle (simple boîte aux lettres) avec un simple aller-retour 1 à 2 fois par an (même si pour le coup, votre conseil, qui est rarement un avocat soumis au secret professionnel, va probablement la déclarer pour vous) !


Pour en savoir plus :
  • directive européenne (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018
  • tableau récapitulatif de l'interprétation à apporter aux différents marqueurs fournis par l'administration fiscale française


Vous êtes intervenus en tant qu'intermédiaire dans la mise en place de schémas qui pourraient entrer dans ces cases ou vous intervenez en tant que DAF ou juriste dans un groupe international, et vous voulez vérifier si vous êtes soumis ou non à ces obligations déclaratives et comment déclarer lesdites opérations ? Une formation pourra être proposée par nos équipes, réalisée en collaboration avec fredag, organisme de formation. Contactez-nous !


Pour aller plus loin : Quelle a été la réaction des avocats face à la transposition de cette directive DAC-6 ?

Comme expliqué plus haut, une contradiction totale existe entre, d'une part, les obligations des conseils de déclarer les opérations transfrontières relevant du champ de la directive DAC-6 qu'ils ont conseillé à et/ou mis en place pour leurs clients et, d'autre part, les obligations déontologiques des conseils avocats de respecter scrupuleusement le secret professionnel constituant l'essence même de leur profession.

Ce risque de contrariété du dispositif DAC-6 avec le secret professionnel auquel sont soumis les avocats n'a malheureusement pas été solutionné lors de la transposition de la directive en droit français, en 2019. Le texte français précise seulement que la déclaration par un conseil avocat devra se faire avec l'accord de son client. 

Pourtant, la directive DAC-6 laissait bien le choix aux États de l'Union Européenne, lors de sa transposition dans les lois nationales, de vérifier sa compatibilité avec le secret professionnel des avocats. À ce moment-là déjà, le Conseil National des Barreaux (ci-après CNB), instance nationale représentative de la profession d'avocat en France, a demandé explicitement au gouvernement français de dispenser les avocats de ces obligations déclaratives, puisque incompatibles avec leurs obligations déontologiques les plus fondamentales, en vain. 

En réaction à cette absence de prise en compte par le gouvernement, puis de l'absence de correction par l'administration fiscale de cette difficulté dans sa doctrine publiée à ce sujet dans le BOFIP, le CNB, la Conférence des Bâtonniers et le Barreau de Paris ont ensemble formé un recours devant le Conseil d'État dans le but de transmettre aux instances européennes une question préjudicielle sur la compatibilité de la directive avec le secret professionnel de l'avocat. 

Le Conseil d'État a cependant refusé de transmettre cette question préjudicielle et s'est estimé compétent pour juger la directive européenne conforme au droit de l'Union Européenne, et notamment aux droits de la défense et le secret professionnel auquel sont soumis les avocats.

Regrettant cette décision, mais refusant d'en rester là, le CNB a décidé de porter ces questions directement devant les instances européennes. Le Président du CNB a ainsi été mandaté le 6 juillet dernier afin d' "d’exercer tout recours utile dans les délais requis".

Affaire à suivre !









Article à jour le 29 août 2023