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Metavers, droit et avocats

« Essayez de vous rappeler l’internet du milieu des années 90. Beaucoup de lecteurs se rappelleront peut-être le légendaire son du modem 56k. Ou de AOL et son fameux « vous avez un mail ». Une fois connecté à l’internet via AOL, il était possible d’accéder à toutes sorte de choses étranges. Cependant, cette porte vers l’internet n’était qu’une porte vers un proto-internet entouré de murs infranchissables. C’était un jardin clos sans passerelles vers les autres jardins ; une bulle internet déconnectée des autres bulles […]. Le Métavers est au même stade d’avancement que l’internet du milieu des années 90. Aujourd’hui, il n’y a pas un Métavers, mais un ensemble de proto-Métavers – des Métavers en jardin clos ».
 

Tentative de définition du Metavers

Le Metavers n’est pas un simple outil visant à transformer le monde réel en un énorme jeu vidéo en réalité virtuelle, mais bien à proposer une manière, pour les utilisateurs, de transformer leur expérience de consommation actuelle d’internet.

Certes, le Metavers permet de repousser les limites physiques du monde réel tout en proposant une solution immersive. Reste que ses nombreux acteurs, notamment français, veulent pour profiter du virage actuel du Web2 vers le Web3 pour redonner aux futurs utilisateurs du Metavers le pouvoir dans l’utilisation de leurs données, l’accessibilité à des sources ou ressources qui peut être aujourd’hui limitée selon les lieux de résidence des utilisateurs, et ne pas reproduire les erreurs du Web2 et les atteintes aux libertés. Pour exemple les concerts qui ont pu avoir lieu ou les bibliothèques cachées dans le jeu ouvert Minecraft accessibles à des personnes vivant pourtant dans des pays où la propagande leur interdisait tout accès à ces informations.

Certaines personnes, comme le cabinet de conseil en stratégie Arthur D. Little l’a exposé dans « The Metaverse beyond fantasy », vous indiqueront que le Metavers n’existe pas encore, car pour que le Metavers existe, encore faut-il qu’il soit interopérable (aka universel), autrement dit qu’il ne fasse qu’un. Il ne peut y avoir plusieurs metavers.

D’autres acteurs du Metavers vous indiqueront le contraire, et adopteront leurs propres définitions
  • « technologie permettant de connecter le monde réel (celui des atomes) avec le monde digital (celui des bits) » (1) pour John Hanke, CEO de Niantic, entreprise américaine de jeux vidéo (connue notamment pour avoir développé le jeu de réalité augmentée Pokemon Go dont l’application a été téléchargée plus de 650 millions de fois en 2017 (2)
  • « univers virtuel persistent et partagé, où des plateformes connectent de personnes de tous les horizons pour leur permettre de communiquer d’une nouvelle manière à travers le jeu vidéo et l’industrie du divertissement » (3) , pour David Baszucki, CEO de Roblox, plateforme de jeux vidéo collaborative mettant à la disposition des utilisateurs les outils nécessaires à la conception de jeux vidéo,
  • Ou encore « extension 3D de l’internet d’aujourd’hui, avec une économie bien plus large que celle du monde réel »  (4) pour Julie Hyman
… chaque acteur propose donc une approche différente du Métavers, qui correspond aux caractéristiques et usages des « jardins clos » développés.

 A ce jour, si l’essentiel n’est pas de lui trouver sa définition exacte, il faut toutefois en comprendre sa substance pour comprendre quel cadre juridique nous pourrons lui apporter.

En réalité, le Metavers est une solution technologique proposée à des personnes, privées, publiques, morales ou physiques, entièrement digitalisée, leur permettant de pouvoir réaliser diverses opérations juridiques, à titre gratuit ou non. Certaines personnes achètent des espaces dans le Metavers, les vendent, les louent ou les exploitent pour leurs propres besoins ou ceux de tiers. Certains y vendent des produits, des services, y reçoivent leurs clients. D’autres créent des espaces pour leurs salariés, notamment les start-ups en full remote. D’autres enfin visitent le Metavers, viennent chercher de l’information, visiter des galeries, assister à un concert ou à une représentation théâtrale, acheter des biens ou rencontrer des personnes, dont des avocats.

Il ne s’agit rien de plus qu’un espace augmenté, sans substance physique réelle, permettant de décupler l’expérience numérique.

Et qui dit opérations juridiques, dit réglementation juridique.
 

Les enjeux juridiques du Metavers

Si le Metavers peut sembler aujourd’hui comme un projet en construction, reste que des opérations juridiques y ont déjà lieu, et qu’il est essentiel, en tant qu’avocats et acteurs juridiques, de s’en saisir dès maintenant.

Le Métavers revêt un caractère intrinsèquement international, et ce, même si la relation est entièrement digitalisée.

Céline Moille et Arnaud Raynouard, dans un article relatif aux « Les enjeux juridiques autour du Métavers » (5) ont présenté les questions ainsi :

  • En matière de droit international : la première chose à se poser sera celle de la juridiction et de la loi applicable. Faute de traités internationaux, on faudra se reporter aux mécanismes de droit international privé, qui vont devoir tenter de faire leur office dans cet univers digitalisé. Ces questions ne sont toutefois pas nouvelles : « au regard d’un monde moderne où les échanges transfrontaliers et les litiges internationaux sont nombreux. En conséquence, il conviendrait alors de prévoir une adaptation du régime applicable actuellement en vigueur en vue de répondre à ce nouveau schéma 100 % numérisé ».
  • « le droit de la consommation semble prendre une place de premier choix dans l’écosystème Métavers ». « Faire ses achats sur le Métavers ? Le droit de la consommation se voit directement touché et plus spécifiquement les dispositions de l’article L.221-1 dudit Code s’intéressant aux contrats à distance et hors établissement ».
  • Quid du droit du travail ? « Au titre de principale illustration, il a été simultanément annoncé et lancé par Meta le 19 août 2021 une réunion virtuelle sur l’application « Horizon Workrooms ». Cette nouvelle approche proposée par la société témoigne non seulement de l’intention du métavers de proposer des organisations de réunions dans des espaces purement virtuels mais fait également écho à la notion du télétravail qui s’est vu s’accroître en raison de la pandémie de la COVID-19. Ici encore c’est surtout une modification des interactions avec les salariés. (…) Dans une logique purement juridique, un tel environnement de travail met en avant des préoccupations de l’ordre de la sécurité et de la confidentialité des travaux émergent : quid de la détention des travaux en ligne ou du contrôle des salariés dans un tel environnement ? Comment intégrer ce type de modèle dans les contrats de travail ? Le salarié pourra-t-il refuser les réunions dans le métavers ? Une adaptation des règles devra-t-elle être mise en place ? ».
  • Quid du droit pénal ? A cet égard, il a déjà pu être constaté que certaines dérives sont bien ancrées et établies sur des espaces décentralisés comme le métavers : l’escroquerie, la diffamation, le harcèlement, le vol ou encore les injures. « Dès lors, les auteurs et responsables de telles infractions devraient pouvoir être sanctionnés au même titre que ceux qui commenteraient de tels actes dans le monde réel. Nous pouvons envisager de mettre en application l’adage selon « là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer », mais le caractère dématérialisé du métavers complique les choses, sans compter une certaine « confusion » entre l’avatar et la personne le contrôlant ».

Le droit des biens (virtuels) a aussi sa place dans le Métavers, tout comme la propriété intellectuelle ou bien la protection des données personnelles.

Et la fiscalité derrière tout ça ? Si les autorités fiscales ne sont pas encore prononcées sur ces questions (et notamment l’administration fiscale française qui refuse depuis la Loi Pacte de prendre position globale sur de nombreuses questions touchant à la fiscalité des nouveaux gains générés grâce aux cryptoactifs, aux NFT et maintenant au Metavers), quelques questions devront toutefois être vite tranchées, même si l’on pourra dans un premier temps se rattacher aux travaux qui sont développés depuis quelques années sur la territorialité des gains générés grâce aux activités numériques.

On peut enfin imaginer l’application des règles de partage dans le cadre de divorces, ou bien même celle du droit des successions à la mort d’un avatar dans le Métavers.

Les questionnements sont aussi nombreux que le sont les Métavers actuels et futurs.

Entre anticipation légitime et précipitation hâtive, il est urgent que les cabinets d’avocats se positionnent mieux vis-à-vis du Métavers, car qui mieux qu’un professionnel du droit pour tenter de combler un vide juridique.
 

Les opportunités pour les cabinets d’avocats

Comme nous avons pu l’expliquer précédemment, il est urgent que les avocats se saisissent de la question du Metavers et ne laissent pas à des acteurs non maîtres du droit décider les règles qui y seront appliquées – faute de risquer de créer un vrai capharnaüm insécurisant pour tout le monde.

L’avocat doit pouvoir conseiller ses clients, sécuriser leurs projets et/ou activités, les informer sur les enjeux juridiques, sociétaux et politiques qui se cachent derrière le Metavers.

Certains cabinets d’avocats se sont déjà saisis de la question et ont déjà décidé de créer un cabinet d’avocats dans le Metavers. En témoignent les clients de PacisLexis Family Law (6) qui peuvent depuis le 1er février 2022 rendre visite à leurs avocats dans le Métavers, aux cabinets d’avocats, comme TAX SUITS YOU, qui travaillent actuellement à proposer de nouveaux services dans le Metavers, ou encore le projet de Metabehere né du Global Legal Hackathon 2022 qui souhaite proposer à des confrères la location d’espaces de bureaux dans le Metavers pour y accueillir leurs clients. Le Métavers peut être utilisé en interne comme plateforme collaborative, notamment pour les cabinets très décentralisés (7).

Cependant, là aussi, les obstacles sont nombreux.

Tout d’abord, l’épineuse question du secret professionnel et de la confidentialité. Il convient de sécuriser les données afin que le client ait confiance en son conseil. Si nos institutions ne se sont pas encore prononcées sur la question, nos confrères ne doivent pas négliger les risques de collecte de données des professionnels leur proposant des espaces clés en main. Certains acteurs du Metavers, notamment les acteurs français et européens, réfléchissent déjà à proposer aux avocats des solutions clé en main qui respecteront des obligations professionnelles des avocats. Il sera toutefois conseillé de prêter attention au sérieux de l’acteur, et de privilégier de préférence des acteurs français. Il ne faudra pas non plus négliger les enjeux en matière de sécurité des plus grandes structures, comme l’a rappelé Xavier Pican, spécialiste des sujets de technologies et de propriété intellectuelle (8).

Ensuite, des aspects plus techniques freinent l’adoption par les cabinets d’avocats des outils proposés par le Métavers. En dehors des seules questions tenant aux appétences et compétences des confrères pour la technologie, l’accès au métavers est encore aujourd’hui restreint et suppose un équipement que ne possèdent pas tous les clients et cabinets d’avocats, malgré l’émergence de nouveaux acteurs proposant des solutions clé en main contre location mensuelle. Si l’immersion peut paraître encore peu limitée (expérience proche du Gameboy), cela change très vite (9). On peut penser enfin aux profils à recruter maîtrisant les outils du Métavers en interne, même si l’externalisation reste une possibilité (à condition de bien la contractualiser). Heureusement, ces freins technologiques sont de plus en plus faibles et laissent apercevoir les opportunités qui pourront être offertes.

Mais alors, pour intervenir dans le Metavers, faut-il nécessairement y installer son cabinet ?

Non. Il n’est heureusement pas obligatoire d’acheter ou de louer des espaces dans le Metavers et d’y installer son cabinet pour devenir un acteur incontournable du Métavers. Mais il sera fortement conseillé d’être curieux et d’aller visiter certains metavers pour comprendre les enjeux de ses futurs clients, comprendre leurs différences technologiques, suivre les avancées technologiques et acquérir de l’expérience par la pratique. Ne serait-ce que pour éviter de rater le train…
 

Et pour nos LegalTech, le Metavers peut-il devenir une opportunité ?

Avant toute chose, il ne faudra jamais oublier que le Metavers n’est pas un simple internet amélioré : n’essayez pas de proposer vos services à l’identique dans le Metavers, mais essayez de créer une expérience unique pour nos utilisateurs.

Bien sûr, comme pour les cabinets d’avocats, le Metavers ne sera donc pas adapté à toutes nos Legaltechs. Il peut toutefois présenter un réel intérêt pour certaines d’entre elles.

C’est une question que l’on s’est posée pour fredag. Plateforme de formation e-learning qui a pour vocation de faciliter l’accès au droit aux entrepreneurs et leur donner toute autonomie pour gérer leur entreprise en toute sérénité, l’idée de rendre nos formations toujours plus interactives nous a amenés à nous poser la question de l’utilisation du Metavers. L’idée n’est pas simplement de proposer une salle dématérialisée ou une salle de conférence immense, ou un ordinateur en ligne où la personne pourra suivre les formations de la même manière qu’elle le fait en se connectant aujourd’hui sur notre site. L’idée est plutôt de permettre de créer un nouveau lieu de rencontres et d’apprentissage pour nos formés, complètement immersif, tout en s’assurant bien sûr que l’expérience reste confortable (notamment ceux qui se connecteront grâce en réalité virtuelle), en proposant des formations repensées pour le Metavers, et de nouveaux services qui y seront adaptés (gamification, obtention de certificats blockchainisés, lieux de rencontre entre formés, parcours à construire au sein des entreprises pour grandir en compétence ou faire grandir leurs équipes en compétence, accès à nos avocats formateurs, etc.). Le travail est en cours de développement auprès d’une belle pépite française et notre plateforme de formation devrait voir le jour en 2023.

D’autres exemples pourront voir le jour.

On peut penser également aux Legaltech qui facilitent l’accès à l’avocat / au médiateur à son client ? Créer des espaces de bureau ou de rencontres sécurisés dans le Metavers peut être une solution intéressante et innovante, et éviter que tous les confrères ouvrent leur propre cabinet dématérialisé dans le Metavers. Pour exemple le projet Metabehere développé lors d’un Hackathon par des confrères, qui avait pour but de proposer à des avocats des bureaux partagés dans le Metavers.

Article corédigé par Emmeline BOCHEREL, cabinet TAX SUITS YOU, et Cécile MOILLE, cabinet Deloitte, pour le Mensuel #1 d'Avotech, Think-tank des Legaltechs d'avocats, Janvier 2023

Sources :
1. Niantic, “The Metaverse is a Dystopian Nightmare. Let’s Build a Better Reality”, nianticlabs.com, consulté le 19 décembre 2022
2. Niantic, "le Metavers est ce que nous en faisons", nianticlabs.com, consulté le 19 décembre 2022
3. Goldman Sachs, “Framing the future of web 3.0. Metaverse Edition" publié le 10 décembre 2021.
4. Julie Hyman, “Nvidia CEO: The metaverse will be 'much, much bigger than the physical world'”, finance.yahoo.com, publié le 21 novembre 2021.
5. Céline Moille et Arnaud Raynouard, « Les enjeux juridiques autour du Métavers », Revue Lamy Droit de l’immatériel, Mai 2022
6. Olivia Fuentes, « Pour les cabinets d’avocats, le bureau dans le métavers attendra », www.decideurs-magazine.com, 12 octobre 2022
7. Ibid
8. Olivia Fuentes, « Pour les cabinets d’avocats, le bureau dans le métavers attendra », www.decideurs-magazine.com, 12 octobre 20222
9. Pour exemple les solutions proposées par Metaverse GT