Cryptoentreprises : que vous réservent les modifications réglementaires européennes et françaises à venir ?
Face à l’absence de réglementation européenne des marchés de crypto-actifs, les États membres de l’Union Européenne se sont vus contraints ces dernières années de devoir mettre en place chacun à leur niveau national des règles spécifiques afin d’encadrer ces marchés se développant de manière exponentielle, de protéger leurs consommateurs et d’apporter une sécurité juridique et les moyens nécessaires à l’innovation aux entreprises intervenant dans ce secteur d’activité.
Cette situation entraînait toutefois de vraies discordances entre les États et notamment entre les crypto-friendly (Portugal, Estonie, Allemagne), les crypto-septiques et les États régulateurs (France).
Conscientes de leur retard d’action et de l’importance de règles juridiques uniformes au sein de l’Union Européenne, les instances européennes ont entamé des négociations le 31 mars 2022 aux fins d’adoption d’une réglementation harmonisée spécifiquement adaptée aux marchés des crypto-actifs.
Ces débats ont beaucoup inquiété les acteurs du secteur, craignant une réglementation si stricte qu’elle pourrait amener, si ce n’est à l’interdiction des crypto-actifs, a minima à un frein trop important au bon développement de cette nouvelle économie (et donc un retard significatif de l’Europe vis-à-vis des États-Unis, des Émirats Arabes Unies ou de la Chine).
Ces dialogues ont abouti l’été dernier à un projet de Règlement sur les marchés de crypto-actifs (le Règlement MiCA, « Markets in Crypto-Assets »), modifiant la directive 2019/1937, ayant fait l’objet d’un accord politique provisoire le 30 juin 2022. Cet accord a ensuite été adopté par le Conseil de l’Union Européenne en octobre 2022.
Le Règlement MiCA doit maintenant être accepté par le Parlement européen pour pouvoir entrer en vigueur. Ce vote devait originellement avoir lieu en novembre 2022, mais il a cependant été reporté à février 2023 pour des problèmes de traduction du texte. Une fois que ce problème sera réglé et que le texte sera définitivement voté et entré en vigueur, son entrée en application au niveau national se fera 18 mois plus tard (pas avant 2024 donc).
Le Règlement MiCA harmonisera comme prévu les règles applicables à ce secteur d’activité et remplacera alors les règlementations adoptées entre-temps au niveau national par chaque État membre de l’Union Européenne, dont, concernant la France, celle adoptée à l’occasion de la Loi Pacte du 22 mai 2019.
L’objectif ambitieux de ce texte est de concilier la protection des consommateurs et de l’environnement, l’encadrement des marchés et la sanction des abus (notamment dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et la sanction des délits d’initiés) ainsi que l’accompagnement et la sécurisation de l’activité des entreprises intervenant sur le marché. Il s’agit donc d’un réel compromis entre protection, sanction et innovation.
Heureusement plus souple que ce qui était attendu, et largement inspiré de la réglementation d’ores et déjà applicable en France, le projet de Règlement couvre donc plusieurs domaines et concernera tant les émetteurs de crypto-actifs que les prestataires de services intervenant sur le marché. Le texte est disponible sur le site officiel de l’Union Européenne (voir ici).
Nous nous intéresserons ici à trois axes de la réglementation : la lutte contre les abus constatés sur les marchés, l’encadrement des stable coins et la certification des prestataires de services sur crypto-actifs.
Mesures de lutte contre les abus sur les marchés des crypto-actifs
L’avantage de mettre en place une réglementation plus tardive est de pouvoir profiter des études et constatations d’ores et déjà réalisées sur les marchés. Ceci a permis aux instances européennes de prévoir des mesures adaptées aux spécificités du marché des crypto-actifs afin de lutter contre les abus pouvant y être commis.
Désormais, l’ensemble des opérations effectuées depuis ou vers le sol européen et concernant les crypto-actifs seront soumises à la réglementation de lutte contre le blanchiment de capitaux. Les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) devront se soumettre aux mesures de lutte contre le blanchiment et l'Autorité bancaire européenne (ABE) sera chargée de tenir un registre public des prestataires de services sur crypto-actifs non conformes, lesquels seront tenus de mettre en place des contrôles renforcés et feront l’objet d’une supervision rapprochée.
MiCA distingue deux types de fournisseurs de services sur crypto-actifs (appelés "Crypto Asset Service Provider" (CASP)), à savoir les CASP classiques et les CASP significatifs. Ces derniers sont ceux dont le nombre d'utilisateurs annuel dépasse les 15 millions. Les CASP significatifs seront supervisés autrement au regard de la réglementation de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et devraient avoir une obligation de posséder davantage de fonds propres.
Mesures relatives aux stable coins
Dans un objectif de protection des consommateurs investisseurs, les émetteurs de « stable coins » devront constituer une réserve suffisamment liquide, avec un ratio de 1/1 et en partie sous forme de dépôts.
Une liquidité minimale adéquate devra être prévue en réserves pour assurer leurs obligations de remboursement à simple demande, et pour que chaque détenteur puisse se faire rembourser à tout moment et gratuitement par l'émetteur.
Tous les stable coins seront supervisés par l'Autorité bancaire européenne (ABE), la présence de l'émetteur dans l'UE étant une condition préalable à toute émission.
Dans un objectif également de sécurité juridique des investisseurs et de développement de l’innovation au sein de l’Union Européenne, le développement de jetons se référant à un plusieurs des actifs (« asset-referenced tokens » ou ART) fondés sur une devise non européenne, utilisés en tant que moyen de paiement, sera limité pour préserver la souveraineté monétaire de l’Union Européenne. Ce qui est d’ailleurs peu surprenant eu égard au fait que la BCE développe actuellement son propre stable coin.
Mesures relatives à l’autorisation des fournisseurs de services sur crypto-actifs
Le Règlement MiCA prévoira un agrément obligatoire pour les prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA), dont les exigences sont proches de l’agrément optionnel du régime français. Les prestataires qui seront agréés selon le règlement MiCA pourront bénéficier du passeport européen et fournir leurs services dans tous les pays de l’UE. Pour cela, les prestataires devront notamment fournir des informations concernant leur empreinte environnementale et climatique.
Dès lors que le Règlement MiCA sera entré en vigueur, une période transitoire supplémentaire de 18 mois sera accordée aux acteurs bénéficiant d’un enregistrement ou d’un agrément PSAN, qui pourront pendant cette période continuer à offrir leurs services au public français en attendant l’obtention de leur agrément MiCA en tant que PSCA.
En attendant l’efficacité de cette réglementation européenne, et dans un objectif de simplification et d’harmonisation nationale de ces systèmes d’agrément, le sénateur centriste Hervé Maurey a introduit un amendement au sein du projet de loi « diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture » (dit projet de loi DDADUE) rendant l’agrément PSAN obligatoire pour les prestataires non enregistrés à partir d’octobre 2023.
Il n'y aurait alors qu'un seul agrément, lequel serait obligatoire pour tout prestataire.
Cet amendement a été décrié par le monde crypto, notamment par l'Association pour le Développement des Actifs Numériques (« Adan »), laquelle représente les entreprises françaises du secteur des actifs numériques et des technologies blockchains et dont la mission est de promouvoir le développement des acteurs et du secteur en France et en Europe.
Face à ces observations, le 20 janvier dernier, l'Assemblée Nationale a adopté un amendement déposé par le député Renaissance Daniel Labaronne. Cet amendement renforce les conditions d'obtention de l'agrément pour les nouveaux acteurs plutôt que d'imposer un agrément obligatoire.
L'amendement vise en effet à renforcer l'encadrement des PSAN, en les soumettant à des obligations supplémentaires leur permettant de préparer leur conformité à la réglementation européenne à venir (MiCa).
Par exemple, les crypto sociétés devront faire preuve de davantage de transparence sur certains points, notamment sur leur système de sécurité, en communiquant des conflits d'intérêts potentiels ou encore en adoptant une « communication claire et non trompeuse » vis-à-vis de leurs clients.
Si l’on peut effectivement se rejoindre sur le fait qu’il est essentiel de s’assurer que le monde de la crypto ne mette pas sur la paille de nombreux individus, et ainsi d’éviter de reproduire le « scandale FTX », reste que l’encadrement ne doit pas non plus étouffer le secteur. Pour rappel, FTX était la deuxième plus grosse plateforme d'échange de crypto-actifs au monde et a fait faillite fin novembre 2022 à la suite de montages financiers hasardeux. Cette faillite s’est répercutée par effet domino sur de nombreuses instances financières, étatiques et bancaires partout dans le monde (dont notamment, en France, les banques BNP Paribas, la BPCE, la Société Générale et le Crédit Agricole).
Une trop grande réglementation a effectivement pour effet de freiner le bon développement des nouveaux projets en France et remet sur la balance la question de la délocalisation de projets français pourtant particulièrement innovants.
La commission mixte paritaire en discutera mardi 7 février prochain (demain donc !). Le sénateur Hervé Maurey n'a pas dit son dernier mot !
Article publié en février 2023